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Octogénaire

Michel Butor

DESSINS DE GREGORY MASUREVSKY

Secrets mordorés

 

Que me veux-tu géométrie ? 
si tu sais devenir triangle
je pourrai me rendre carré 
de mes quatre points cardinaux 
convergera dans mes canaux 
d'irrigation l'eau fécondante 
pour imprégner tes médiatrices 
et les fleurir en papyrus

Et quand j'aurai pris mes distances 
géodésie géomancie 
rangeant mon compas et ma trousse 
mesurant mon halètement 
dans les pointillés du sommeil 
je rêverai de perspectives 
colonnades pleines d'enfants 
s'ébrouant aux fontaines vives

EAN13 : 9782916071121

Format : 21x12cm

novembre 2007

18 euros

 

Critiques

Chère Cécile,

Tout ce jour s'est régalé, autant que nourri, de "ton" Butor, poète incarnant un univers en expansion, celui des signes, des images et peintures où le naturel et le culturel se mêlent à l'opposé du minimalisme prosterné (et prostré) devant le Silence. Poète qui ne craint ni le prosaïsme, ni le didactisme, ni la régularité, ni l'irrégularité, et rejoint dans mon cœur les inextinguibles et centrifuges Hugo, Albert-Birot et autres Rousselot. Enfin je n'oublie pas que les meilleurs commentaires de Balzac et de Proust que j'aie lus et entendus jusqu'ici, sont de Michel Butor.

Hugo, ses contemplations, ses peintures, j'y pensais en lisant chez Butor le conseil de Vinci, de chercher l'inspiration dans la longue contemplation des vieux murs (p.33), à rapprocher peut-être de la "page immense / déjà couverte de dessins" qu'est la ville, avec "des humains qui savent à peine / que c'est eux qui ont fabriqué tout cela".(p.43) Je retrouve la même idée dans un texte inspiré à Rousselot par un autre peintre de la Renaissance : "Michel-Ange a raison, tout est peinture : les villes et les cimetières, les routes et les canaux, les temples et les ports, le linge qui sèche, les clôtures ; l'or du colza, le blanc-manger des carrières, le bleu de Prusse des choux. Bref, tout ce que nous ajoutons (…- le jour est proche où nul ne pourra faire le départ/entre les essentielles arabesques et tablatures et ce qui est sorti de nos mains, de nos centres et de nos cerveaux". Chez Butor, la mer jette "Algues et astéries poissons frétillants / (…) Comme pour nous proposer une peinture / et se gausser de nos essais dans ce domaine" (p.161) Chez Rousselot, nul ne pourra bientôt faire le départ "Entre matière et nous, qui tirons d'elle l'ocre, le sang, l'esprit".

Comme le photographe trempant la pellicule dans le bain révélateur (et de jouvence, de temps retrouvé), Butor associe la "révélation" à la "peau" (p.39). La profondeur à la surface, ruban de Möbius permettant "de s'infiltrer / sur l'autre face / du clair savoir / de circuler / Dans les artères / de l'arbre du / progrès secret". Le mouvement de l'arbre, sa distribution des branches, évoquent la spirale, et c'est ainsi que la littérature en expansion de Butor figure l'histoire, "spirale des déceptions" et des mensonges (p.88), mais avec "les horizons, s'élargissant / en spirale dans la lecture traduction/ des ermites futurs" semble croître et s'édifier un "progrès secret", arbre et coupole où la "Terre carrée" s'égale "au ciel circulaire", et où les bergers (spirale toujours) se réfléchissent "dans les anges tourbillonnnaires".

 

 

François Huglo

Plus qu'un titre, c'est un âge. Le début certainement d'une trilogie avant nonagénaire et centenaire à suivre. En tous cas, ce passage semble étonner l'auteur puisqu'il titre de même chez Gallimard: " Seize lustres". Pour fêter sa nouvelle décennie, Michel Butor écrit d'abord en strophes carrées :
huitains d'octosyllabes, où l'on découvre l'extrême importance accordée à la prosodie. A la fois le mètre, vers de cinq ou six syllabes, ou tétrasyllabes...et la strophe choisie conjointement. Autre caractéristique du souci formel, survivance sans doute de l'ancien chef de file du Nouveau roman, la reprise  anaphorique, ou l'usage de la synérèse sur le mot "nuage" à prononcer d'un seul tenant. L'envoi  du poème conditionne la suite qui obéira au même patron tout en variant  et se renouvelant. Mais Michel Butor est avant tout un prosateur, de haut vol va sans dire; quand il choisit la poésie, c'est pour épurer encore si possible cette écriture très maîtrisée qu'il donne déjà en la soumettant, filtre final, aux contraintes numériques du vers. mais bien que le travail lexical puisse entrer dans la poésie comme une démarche à part entière, Michel Butor s'inscrit dans un courant didactique ou philosophique où comparaisons et images éclairent le sens et l'illustrent. Ainsi les poèmes de circonstances sur la prise de Bagdad où l'auteur de la " Modification" commente, critique, exploite, récrimine.

Cette tendance, très  en cour dans la poésie moderne mérite d'être prise en compte, surtout venant d'un aîné de cette dimension littéraire. Un rappel bien venu pour se souvenir que la poésie ne doit pas être forcément déconnectée de toute actualité et peut conjuguer recherche formelle et préoccupations contemporaines. Michel Butor, du haut de sa longue expérience et ses 80 automnes donne une espèce de bilan de l'homme et du monde. Il a acquis la sagesse qui permet de juger sereinement toute chose sans parti pris ni impulsivité. En outre, il reste curieux de tout, du quotidien, des inventions scientifiques, des quêtes spatiales, des découvertes paléontologiques...sa poésie saisit les multiples courants d'air qui
soufflent sur un esprit à l'affût du nouveau siècle.

 

 

Jacques Morin 
Dans Décharge n°130

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