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De la mort du lion

Louis-François Delisse

De la mort du lion

 

Le lion ne veut pas mourir :

de la mort du lion

renaîtrait pourtant la lune.

 

Sa queue fume,

ses naseaux brûlent,

il égorge, il écrase, il broie.

 

Le lion ne veut pas mourir,

ni la cheminée de l'usine,

ni le canal noir de pollution.

 

Le lion écrase, broie, rumine,

digère, mais de la mort du lion

devra naître le clair de lune.

 

J'ai été cet enfant qui tirait

sur ses bras pour les porter à

la hauteur de la lune.

EAN13 : 9782916071084

Format : 21x12cm

novembre 2007

10 euros

 

Critiques

Ce poème est aussi un conte. Ou un livre ajouté à la Bible pour en proposer en quelque sorte « la version marxiste ». Ici le démon n'est pas un dragon mais il en a la « queue (qui) fume » et les « naseaux (qui) brûlent » : il s'agit d'un lion, un vrai, un d'Afrique, un de ceux dont parlent les « bergers Bororo du Niger », chers à LouisFrançois Delisse. Le vainqueur du lion n'est pas l'archange Michel cité dans l'Apocalypse comme celui qui achève la bête, mais un enfant « armé de (s)a seule douceur ». Et si au dragon de saint Jean s'oppose l'Agneau, dans le poème de LouisFrançois Delisse, c'est la licorne des tapisseries médiévales ou la gazelle des déserts africains qui l'emportent.

Nous ne sommes pas à Patmos aux premiers temps de la chrétienté mais en 1977, à Vauvillers, dans la Somme !

En ces années-là, l'impérialisme américain venait de subir un coup dur au Vietnam et les dessinateurs humoristiques représentaient volontiers le tigre qui le symbolisait avec une patte en écharpe. Le lion de Louis-François Delisse n'est pas seulement le tigre impérialiste made in USA, mais un monstre qui symbolise tout à la fois des « cheminées d'usine, la pollution, les banques, les notaires, la bourse, les livres comptables, les feuilles de paye; -les parachutistes, les rois des nos et des holdings, les inspecteurs des finances et la télé qui fait écran au monde. Ce lion est le monstre qui entretient un monde où deux hémisphères s'opposent : « un vaste hôpital » au sud, « une haute banque d'affaires » au nord. Un monde où s'opposent les âges de la vie : des adultes qui conseillent la prudence, voire le démission face au lion ; et des enfants qui prétendent que, face à eux, c'est le lion qui aura peur. L'inexpérience des échecs passés, l'inexpérience des poings levés - si inutilement levés - permettraient donc de rêver encore d'un Eden, d'un jardin où « jouent ensemble des enfants de couleur, heureux », d'un « jardin là-haut près des jardins de la lune ».

Car, comme chez Pierre Garnier, la « mort est toujours enceinte » et celle du lion, dans te conte de Louis-François Delisse, doit engendrer la naissance de la lune. « Nous serons jeunes », ose-t-il écrire, et cette renaissance de la lune doit permettre la réactualisation des souvenirs d'enfance dont font partie des fesses de « petite vieille » et de « jeune folle», des miroirs qui mènent à la lumière, à « la jeune lumière » qu'on épouse, à la « grande lumineuse » qui se lève à l'horizon: une lune qui mène à un monde nouveau.

Louis-François Delisse crée sa propre mythologie dont il nous dit que les mots suivent ici le rythme de la cantate paysanne de J-S. Bach. Ce poème est « un oratorio » nous dit-il encore. Il est certain qu'il est un chant, un « Chant des chants » moderne, qui imagine « derrière nous, la misère et le temps » et « devant nous, la longue lumière ».

 

Jean-Louis Rambour

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