Heureux les oiseaux ils vont avec la lumière
Pierre Garnier

10 euros
Heureux les oiseaux ils vont avec la lumière
ce sont messages de soleil
père de la croix
paradis et enfer :
il ne faut pas être ou trop loin
ou trop proche de dieu
confiance et méfiance dues au soleil
et à la terre à la juste hauteur
nombreux sont ceux qui proches
furent brûlés
et sont pourtant au paradis
ce sont messages du soleil
paysans et chardonnerets
et les oiseaux volent en croix
et les paysans bleus et jaunes
ce sont messages du soleil
Lafleur le rouge, Sandrine la bleue,
et ils habitent une peinture
de Vermeer ou de Monet

Critiques
Une critique de Jacques Demarq pour le cahier critique de poésie (CIPM de Marseille)
Garnier, chacun sait, est avec sa femme Ilse le promoteur du spatialisme, entre poésie concrète et visuelle. Spatial : il y avait d'entrée beaucoup de ciel, dont les oiseaux. Picard, Garnier est aussi l'auteur de nombreux poèmes traditionnels sur son pays, dont les oiseaux. Il est bon qu'un poète soit pluriel, et insistant. Ce livre est du deuxième type. Le vieil homme, au gré des souvenirs d'enfance, y livre sa vision du monde : où les "abeils" tracent "la soleille" ( " on y voit plus clair quand le poète / fait son orthographe" ), les oiseaux sont des croix, les quartiers de bœuf des Christ ( "pourquoi le boucher n'est-il pas prêtre ? "), l'huître "bleue, verte et grise " une Vierge Marie, etc… On sent la peinture classique, mais aussi le spatialisme: "l'institutrice fait un cercle, / met un point au centre : / le zéro est fécondé". Heureux les poètes qui plient le monde à leur grammaire : ils tuent la mort des signes.
Jacques Demarq
Une critique de Jean-Louis Rambour
Le titre est trompeur. Le livre de Garnier n’est pas un poème sur les oiseaux. Certes, « les oiseaux (y) volent en croix », habiles qu’ils sont à donner mouvement à la croix du Christ sur fond de ciel. Mais c’est de l’ensemble des êtres qu’il est ici question, c’est d’une arche de Noé que descendent les personnages. Du côté des hommes il y a l’enfant, la grand’mère, la fermière, les paysans, l’instituteur et le facteur, l’institutrice et le jardinier, le vieil homme, la cousine et Napoléon. Et puis « je » qui entre en classe pour s’interroger sur « le zéro du monde ». Et puis encore le père du poète qui « sort une lumière » de l’eau. Du côté des animaux (mais la distinction est-elle judicieuse ?), il y a les anguilles, les papillons, les araignées, les chevaux (dont les boulonnais), le canari, le chardonneret, les étourneaux qui « chantent un beau motet », l’escargot, l’épinoche, les grenouilles, les abeilles, un petit chien qui sourit, la chèvre au lait rond, l’huître qui aura le dernier mot en annonçant la mort de la mort. Et à tous ces êtres, il faut encore ajouter Lafleur et Sandrine, les cabotans, les « marionnettes sur la terre comme au ciel », qui parlent le picard, « la langue des petites gens », ce qui, dans l’univers de Pierre Garnier, leur fait un point commun avec les oiseaux et les étoiles ; ajouter enfin la cathédrale, la « cathédrale paysanne, poissonnière, hortillonne » qui « avance poussée par une perche » et « navigue dans le temps ».
Une arche de Noé donc, qui donne à ce poème une allure de deuxième Genèse. La cathédrale y franchit « la porte romane du big-bang » et une lapine « se souvient avoir vu la création du monde ». Alors qu’ « on ne les voyait plus », « on voit à nouveau les fils de la Vierge, « le ciel à nouveau est aube de communiante / on entend à nouveau des chœurs / il y a à nouveau des merveilles ». « Le temps qu’on avait perdu est revenu », « le soleil à nouveau se lève sur les abeilles » : c’est la re-création du monde, « l’éternité est partout ». Et alors, alors « ce sont messages du soleil », « ce sont nouvelles de l’histoire,[…] nouvelles de campagne, […] de la lumière, […] des étoiles, […] de saint François, de Pentecôte. Oui, un monde nouveau où tous les accouplements sont possibles : « chevreuils et bleuets », huître et fleurs, soleil et poème, cheval et cathédrale, le jaune et le bleu et même l’étoile rouge et les Evangiles.
A ce monde nouveau, il faut une langue nouvelle, une qui serait une union des « langages des oiseaux et des saints », celle de saint François ou de saint Jean l’évangéliste qui, plagiant Garnier, a affirmé « que le poème est apparu avant le monde ». Alors, « ce sont orthographes nouvelles » et le soleil (qui dans le poème est Dieu, est hostie, est galette des rois) et l’abeille changent de genre : « le féminin s’empare du soleille / le masculin s’empare de l’abeil », « la pomme devient poème » et le Vieil homme « atteint la cielle ». « On y voit plus clair quand le poète fait son orthographe ». Et la clarté, la lumière, sont le message essentiel de ce poème. Sous sa couverture où « blé et bleuet (que traverse le vanneau blanc) vivent et meurent ensemble », il illumine, il est « cette autre lumière : la lumière du poème ».
Jean-Louis Rambour