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Ce monde qui était deux

Pierre Garnier & Jean-Louis Rambour

EAN13 : 9782916071145

Format : 21x12cm

novembre 2007

10 euros

 

Ce monde qui était deux

 

Poème-préface pour Jean-Louis Rambour et Pierre Garnier

 

Il y a sur la table ancienne
en chêne et de couvent,
un petit hérisson de duvet porte-graines
auréolé de pétales rouge vin
c'est le bouquet d'un poète oenologue qui relâche l'éspérance
du bouquet futur,
il faut semer dans le jardin.

Il y a le panier de pommes sous la pluie
l'une a la joue empourprée de Macha
celle qui est assise sur un banc, entre deux soeurs
et qui attend le prince charmant.

Elles ont un oeil, deux yeux, trois yeux
le dernier sur le front
elles tirent l'aiguille et dans le chas
passent le boeuf et le mouton.

L'arbre est immobile
ses feuilles d'or tombent comme des poissons,
coffres et cassettes du Titanic
c'est le naufrage dans le brouillard
les pies en costume queue de pie, pillent les noix
elles ont dans la gorge un petit orgue de barbarie.

Il y a les poètes qui se font un sang d'encre
tandis que juché en haut de la bibliothèque
ou de l'ordinateur, le singe de Wang-A-Hai (1)
qui abonde dans les régions du Nord
les jambes croisées, attend la fin du poème
pour boire le fond de l'encrier en roulant des  yeux de groseilles.

Deux poètes, donc, l'un a des nuages dans la tête
heureusement picards, ils courent plus vite que le cheval
sur les vagues du vent, roulant, bordés de blanc
ils montent à l'assaut du ciel, se bousculant
montés en neige ils avalent les cuillères d'argent
les ménagères qui dans le ciel déroulent leurs fumerolles en rubans.

L'autre a des sources dans la tête
c'est un rocher, une montagne, il enjambe le Rhin
les forêts de Bohême lui ont livré tous leurs secrets
il traverse les brumes entre les fûts centenaires
entre les rais de lumière oblique
la feuille d'érable rouge 
c'est le baiser d'Ilse  sur son épaule 
l'amour  Ã©ternel.

Perles de source à n'en plus finir, contre une perle de sang
et c'est la vasque qui rougit
la couronne de bleuets va-t-elle couler?

Nus et nues, dépouillés, robes jetées sur les talus humides
on pousse les barques de nuit
au clair de lune
dans les bosquets des bacchanales, les tanks rouillés ont reculé
les arbres écorchés de mitraille sont les seuls à garder
le souvenir des pantins aux yeux bandés, écroulés.

Les tombereaux de souvenirs déversent dans les vieux trous de bombes
des betteraves sucrières devenues inutiles
les cheminées d'usine  se penchent, 
les briques s'effritent
le four est éteint

on veut dire le temps qui passe
on dit malgré tout l'amour qui revient

Par-dessus l'épaisseur de brique pilée
un mètre au moins de rouge coquelicot
on a construit l'école du village à Epehy
et les enfants dans le car regardent le gros soleil rouge se lever
et dans la plaine trottent gaillardement les poules faisanes
et leur faisan flamboyant
que les chasseurs du dimanche ont raté.

Il faut avoir vu le pic vert à crête rouge pour y croire
mais les jumelles sont là, et le pic vert aussi,  
et c'est magnifique
s'il n'y avait que lui
il faudrait encore écrire mille poèmes en son honneur.

Il y a un noeud dans le bois de la bûche
c'est un morceau de bouleau, l'écorce est blanche
le noeud est vert, 
il y a un pet sec dans le poële
la porte entr' ouverte a relâché son fumet
les yeux piquent, c'est encore du bonheur.

Les poètes échangent des poèmes
des  lettres, des plaquettes, des revues de luxe sur papier glacé,
ou de plus petites agrafées, des seaux de neige rapportée de Moscou, un igloo,
il y a encore quelques typographes, et il y a
des machines dans les imprimeries
qui claquent des pages, pan, pan, pan,
en attendant d'aller à la casse, furieusement, elles impriment
les poèmes en l'honneur des pics verts, des pics épeiche, des pics tridactyles.

Le poète grabataire
rêve encore de cante gitan
et dans les cours, les oiseaux
trépignent leurs petits flamencos
au son de leurs castagnettes
les feuilles sèches aussi roulent des pelles
aux tambours des pavés mouillées.


(1) Le singe d'encre dans Les animaux imaginaires de Borges

 

L'éditrice, Cécile Odartchenko

 

Critiques

Un recueil atypique : deux auteurs à la fois, chacun donnant une moitié du livre, le tout présenté par un poème de l’éditrice Cécile Odartchenko… D’abord Pierre Garnier, bien dans sa manière, en un seul poème, on revisite le siècle, aussi bien comme histoire que comme légende, retour sur la grand-mère, sa maison, son jardin, le canari, le ruisseau, le soleil, tous les éléments d’une poésie pour la vie sont là, mis en place, au cœur de l’enfance. « la mort n’est pas le vide, dit la grand-mère, mais la transparence » Pierre Garnier aura fait pour constituer son œuvre des sondages de plus en plus aigus de sa mémoire, grenier à trésors inépuisable.
Jean-Louis Rambour donne sa partie, partition, en écho finalement à celle de son devancier, le vieil homme de Saisseval. Il regarde à son tour derrière son épaule le siècle passé et les voyages lointains. Le ton employé témoigne d’une certaine véhémence, les corbeaux tombent de la soute, même si l’exercice se termine sur une relative tendresse dans la nostalgie des souvenirs de jeunesse. nous avons les pieds libres de reptiles Le passé est là, devant soi, humainement planté, admirablement campé. Il y a dans ce recueil, double, jumeau, gigogne, un relais, une passation, le témoin des mots, de l’encre et de la poésie qu’on se confie comme un feu fragile et précieux. L’imparfait du titre laisse songeur, comme si ce livre uni posait déjà pour demain, l’éternité. Ce qui rassemble ces deux poètes, mise à part la même vocation de l’écriture, c’est leur socle commun : Amiens, la Picardie, la Thiérache… toute cette gamme de paysages dans les yeux et les tripes depuis des années qui les a marqués intimement et à travers lesquels ils se lisent mutuellement les yeux fermés.


Jacmo, 
Décharge n°133

Je veux d'abord saluer le travail remarquable de Cécile Odartchenko, l'éditrice. Un catalogue haut de gamme. Et ici deux poètes non moins haut de gamme pour un recueil à deux voix. Ici, ce sont d'abord des fragments de vie rassemblés par Pierre Garnier, des miettes de temps, un canari jaune qui crée la transparence, si bien que grâce à lui, les grands-mères n'oublient pas le jour, des villages avec leurs toits comme des vagues comme des étangs dans la campagne, des goûts d'enfance du temps où la Russie s'appelait l'Union Soviétique avec ses spoutniks qui scintillaient dans l'imaginaire d'une époque, le muguet de la nuit. Jean-Louis Rambour y ajoute ses échos avec l'infinie délicatesse qu'on lui connaît.

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